Il y a plus de quatre ans, au détour d'un forum de protection animale, je découvrais le refuge de Bečej, en Serbie.
Les chiens, plus de 200, vivaient dans la boue, tous ensemble, petits et grands confondus. Les moyens financiers manquaient, les infrastructures n'étaient pas adaptées. Les chiens mourraient, soit des suites de bagarres, soit d'empoisonnement, soit de maladies.
Vivant en permanence à l'extérieur, ils subissaient les conditions climatiques avec difficulté. Le mercure descend bien au-dessous du zéro l'hiver, et grimpe à toute vitesse l'été.
C'est sur ce forum que j'ai rencontré, n'ayons pas peur des mots, l'homme de ma vie. Volan, croisé griffon, ou fauve de Bretagne, ou autre race à poils. Six ans, dont environ quatre de refuge, attrapé dans la rue alors qu'il errait. Un machin roux, avec des poils dans tous les sens, le chien passe-partout, ni moche ni vraiment beau, aucun trait particulièrement craquant au premier abord.
Je n'avais pas spécialement l'intention d'adopter un chien. Et pourtant... Les conditions de vie là-bas, la misère quotidienne, cette bouille banale mais tellement attachante, puis apprendre qu'il avait des problèmes de santé qui ne pouvaient pas être soignés au refuge... J'ai contacté la personne qui avait publié l'annonce.
C'est l'association Nobody's Dog France qui s'occupe de faire adopter les chiens de Bečej. Ils s'appliquent à réunir des dons pour préparer les chiens (puce, passeport, vaccins, tests sanguins) afin qu'ils puissent être adoptés en France, en Belgique ou en Suisse.
Lydia et Céline, membres de l'association, mettent également en place des projets pour améliorer les conditions de vie de tous les chiens du refuge.
Ainsi, en quelques années, plusieurs enclos ont pu être construits. Cela a permis de rassembler les chiens par plus petits groupes (10, 20, 30) selon leur taille et/ou leurs affinités. Depuis, le nombre de bagarres - et donc de morts - a considérablement diminué.
Les cours ont commencé à être bétonnées. En effet, jusqu'alors, il n'y avait que de la terre au sol, qui devenait soit poussière l'été, soit boue l'hiver. L'air de rien, le béton améliore grandement le confort de vie des chiens.
Les chiens bénéficient de soins vétérinaires, certes sommaires en comparaison à ce qu'on pourrait trouver ici, mais un suivi est tout de même effectué, autant pour les stérilisations, les vaccins ou les blessures diverses.
Ils peuvent, grâce aux dons, être déparasités régulièrement. Ils ont également de chouettes jouets pour se divertir durant leurs longues journées.
Ils ont à manger chaque jour.
Toutes ces avancées ont pu avoir lieu grâce à l'implication de l'association par le biais de Lydia et Céline, mais aussi grâce aux dons et aux parrainages.
J'ai découvert leur immense travail, leur courage hors normes et leur implication au-delà des frontières grâce à l'adoption de Volan.
Cela fait maintenant quatre ans qu'il est à la maison.
Il était grand temps de m'impliquer un peu plus pour tous ses copains d'infortunes, les quelques anciens toujours présents à Bečej, et tous les nouveaux qui traversaient la même épreuve que lui, quelques années auparavant.
Je me suis envolée pour Budapest le 13 mai dernier, où me rejoignaient Lydia et Céline.
Le lendemain matin, départ en voiture pour Bečej. Trois heures de route nous attendaient avant d'arriver au refuge.
Avant toute chose, nous sommes allées déposer nos affaires à l'hôtel et nous changer... En effet, le séjour risquait d'être salissant. Vieilles fringues, bottes en caoutchouc, direction le refuge!
L'entrée du refuge. |
Il est 14h. A peine sortie de la voiture, l'odeur me titille (et c'est un euphémisme) les narines. Plus de 200 chiens rassemblés dans un endroit restreint, ça sent...
Les filles me présentent Kristina, l'employée qui s'occupe du refuge sur place tous les jours. Elle ne prend pas de vacances et gère tout seule, du matin au soir.
On m'explique que deux ouvriers sont présents le matin pour ramasser les crottes et distribuer la nourriture aux chiens. Petit tour du refuge, première rencontre avec tous les chiens présents.
Un chiot était arrivé le matin même, pas trop en forme. On essaie de stimuler son appétit, il reste amorphe.
On met en place nos activités pour le séjour, et on commence à s'atteler à la tonne de paperasse qui nous attend.
Il doit être 21 heures, on passe par le petit resto du coin manger une pizza, on rentre à l'hôtel. Douche, et au lit.
Demain, une grosse journée nous attend.
Le lendemain matin, il a fallu euthanasier le chiot... Il était atteint de parvovirose, il ne pouvait pas être sauvé.
J'ai ainsi eu "l'occasion" de voir la fameuse "fosse" de mes propres yeux, après avoir pu la voir en photos.
Chez nous, quand un animal est euthanasié, il est envoyé en incinérateur. Là-bas, ça ne se passe pas comme ça. Une fosse est creusée juste à côté du refuge où les cadavres sont jetés, non seulement par le refuge pour les chiens, mais aussi par les fermiers du coin.On y trouve donc vaches, chevaux, moutons, cochons, poules... Un charnier ouvert et accessible aux chiens du refuge qui parviennent à sortir de temps à autre... avec les risques sanitaires que ça entend. Sans parler de la puanteur qui s'en dégage, en plus de l'odeur du refuge.
Quelques photos des enclos qui ont pu être réalisés grâce aux dons, et qui permettent de sauver la vie de nombreux chiens :
En une journée, nous avons donc administré du vermifuge et de l'anti-puces/tiques à presque tous les chiens du refuge, repris les mensurations (poids et taille) de chacun, et environ 70 chiens ont été vaccinés. Ca n'a pas l'air de grand chose comme ça, mais c'est très compliqué parce qu'on n'a pas la possibilité d'isoler chaque chien pour ça, il faut donc le faire dans la cour où se trouve le chien, avec tous les autres autour. Sans compter que certains chiens sont extrêmement peureux et ne se laissent pas approcher, nous avons eu des moments assez... sportifs, quelques fois.
Certains chiens se réfugient dans les niches pour nous échapper. Certaines fois, on arrive à les extraire de là sans trop de mal, mais d'autres fois, les chiens se rebiffent, mais il faut malgré tout réussir à les vacciner et leur administrer les soins minimums...
S'occuper d'un chien en particulier autour de dix, vingt, trente autres chiens qui manquent cruellement d'attention et d'affection, et qui sautent littéralement sur nous pour être un peu caressés aussitôt la porte de l'enclos franchi, c'est assez compliqué.
Des prises de sang ont également pu être effectuées durant notre séjour sur place. Il s'agit de réaliser un titrage des anticorps contre la rage, et également de vérifier si le chien n'est pas atteint de dirofilariose cardiaque (malade des vers du coeur).
Ces tests sont réalisés pour chaque chien qui quittera le refuge en vue d'une adoption.
Tout est fait pour que les adoptants puissent avoir la certitude que leur chien arrivera en bonne santé.
Il a fallu aussi s'occuper de sociabiliser certains chiens, les habituer à la laisse, au collier, à notre présence. Prendre des photos et vidéos de chaque chien individuellement pour favoriser les adoptions ici, ce qui, l'air de rien, prend un temps dingue.
En réalité, tout là-bas, quelle que soit la tâche à effectuer, prend des proportions assez compliquées, les infrastructures ne permettent pas de faire tout ça tranquillement et rapidement. C'est très compliqué, extrêmement fatiguant aussi.
C'est même déchirant de devoir repousser sans cesse les chiens qui accouraient vers nous. Malheureusement, nous n'avions pas le temps de nous occuper de chacun, de caresser chaque touffe de poils ou de jouer avec tout le monde. C'était sans doute, à mes yeux, le plus frustrant : être sur place, en immersion avec plus de 200 chiens, et ne pas avoir le temps de leur donner ce qu'ils espèrent pourtant tous : avoir un peu d'attention et de tendresse.
Le vétérinaire est venu à plusieurs reprises pour pucer des chiens et pour effectuer des castrations/stérilisations. Ces actes se pratiquent à l'intérieur, dans l'infirmerie.
Et évidemment, c'est tout aussi compliqué. Il faut aller chercher les chiens dans leurs enclos respectifs, les faire traverser les autres enclos pour les emmener au bâtiment. Pour leur sécurité, on évite de les faire traverser en laisse. Donc il faut les porter. Parfois, ils pèsent 5-10kg, d'autres fois ils en font 20 ou 30.
Il fallait évidemment faire très attention que le chien ne nous échappe pas des bras, il risquait alors de se retrouver dans un enclos qui n'était pas le sien... et de se faire attaquer. Chaque enclos = une meute, un équilibre mis en place. Chaque "intrus" représente un risque potentiel de bagarre. C'est souvent comme ça que ça arrive d'ailleurs, un chien qui se faufile entre les jambes à l'ouverture d'un enclos, ou un nouveau chien qui arrive au refuge. Bagarres, blessures, morts.
Il y avait aussi un énorme boulot administratif à faire sur place, ça nous a pris toutes les soirées au refuge.
Notre quotidien était très fatiguant : nous étions au refuge chaque matin vers 7h30, et rentrions à l'hôtel vers 22h, 23h parfois. Plus le bruit constant, les courbatures, et surtout la fatigue émotionnelle...
A côté de ça, j'ai eu pour mission de sociabiliser un chiot arrivé au refuge peu de temps auparavant et à la peau ravagée par les piqûres de puces. Melina. Elle ne se laissait pas approcher. J'y suis finalement arrivée, difficilement, je la prenais près de moi à chaque fois qu'on s'occupait de l'administratif ou qu'on avait quelques minutes de répit.
C'est très frustrant de partir au bout de six jours, et de ne pas être arrivée au résultat espéré. Elle reste très timide, peureuse, ne se laisse pas facilement approcher. Je la prenais contre moi et elle se débattait pendant dix minutes avant de se résigner, tremblante. Mais c'est nécessaire, ce travail n'est pas fait systématiquement, Kristina ne peut malheureusement pas s'occuper de tout.
La semaine a également été rythmée de soins pour Kansas, un grand croisé berger, trouvé très maigre. Il était blessé aux pattes. Le vétérinaire pense qu'il a dû marcher dans des produits très toxiques (acide?). Trois pattes sur quatre sont touchées. La peau et la chair sont parties en lambeaux... Actuellement, Kansas n'a plus que des tendons et des os, au sens propre du terme. Par je ne sais quel miracle, ce chien trouve encore la force de se lever, de marcher un peu, de manger, de boire... Il ne se plaint jamais, se laisse soigner sans rechigner...
Un jour de la semaine, les filles et Kristina ont été chercher en urgence une maman qui allait mettre bas dans la rue. J'ai donc géré seule les 200 et quelques chiens du refuge pendant plus d'une heure. Tout s'est bien passé, mais la responsabilité est lourde. S'il y a bagarres, je dois intervenir seule. Kristina le fait, évidemment, mais elle en a l'habitude. Pas d'incident à déplorer, juste une longue heure de stress pour moi. La chienne a été récupérée et mise à l'abri au refuge.
Le sort des chiots là-bas est malheureusement incertain. Les conditions de vie font qu'ils seront tôt ou tard exposés à la maladie, aux bagarres... En attendant, ils peuvent profiter de la tranquillité et de la tendresse de leur maman.
Nous avons également entrepris de sortir les chariots pour chiens handicapés. Actuellement, il y en a deux au refuge. Ils sont paralysés du train arrière depuis qu'ils ont été fauchés par une voiture. Kristina doit leur faire faire leurs besoins "manuellement" plusieurs fois par jour, et les laver régulièrement. Ils sont dans une cour avec d'autres chiens, mais protégés dans un parc. Ils aboient sans arrêt, ils s'ennuient, ils sont tellement gentils... Après quelques minutes de galère :
Un beau moment d'émotion au milieu du stress, de l'agitation et des galères qui rythment le quotidien à Bečej.
Le mercredi 18, la veille de notre départ, il a fallu préparer les papiers des huit chiens qui nous accompagnaient au retour.
L'association a trouvé un partenariat avec un refuge de Budapest, en Hongrie, qui a bien plus de moyens, et des infrastructures absolument incroyables. Les chiens sont en boxes individuels là-bas, ou par deux, ils sont au propre, au sec, à l'abri. Comme nous reprenions l'avion à Budapest le jeudi après-midi, nous leur emmenions huit chiens sur le chemin du retour. Donc préparatifs des cages de transport, des papiers...
Le lendemain matin, jeudi 19 mai, dernier jour, il a fallu se lever très tôt.
Il fallait aller chercher chaque chien qui nous accompagnait dans leur enclos respectifs, terminer notre travail sur place, pour partir à 8h30 en direction de la Hongrie.
Chiens chargés dans le camion, plus un autre chien qui raccompagnait Lydia et Céline jusqu'à Paris. Kiwi, petit chanceux, était attendu dans une famille d'accueil!
Nous avons eu peu de temps pour visiter le refuge hongrois, installer les chiens serbes dans leurs nouveaux enclos, et reprendre un chien de là-bas pour le ramener également à Paris.
Sur la route vers l'aéroport, il a fallu aller acheter en urgence deux cages de transport aux normes pour l'avion pour les deux chiens, puis enregistrer chiens et bagages, et reprendre l'avion.
Les filles partaient plus tôt que moi, leur avion pour Paris décollait quelques heures avant le mien.
Fin du séjour, de cette aventure folle, il est temps pour moi de rentrer auprès de mon serbe à moi, et de retrouver mes autres poilus.
Fatiguée, moralement épuisée par tant de misère, de chiens en besoin d'affection sans qu'il soit possible de leur en donner, six jours passés dans la boue les jours de pluie, la poussière les jours de soleil, le vacarme de 200 chiens qui n'arrêtent jamais d'aboyer, les courbatures de partout d'avoir porté, de s'être faite sauter dessus à longueur de journée, de puanteur insoutenable...
Et pourtant, tellement triste de partir, de quitter tous ces bébés adorables, ce rythme de vie absolument dingue, mon petit coeur en mousse était brisé de partir en les laissant tous là-bas, sans rien pouvoir faire pour eux.
Lequel sera mort demain, quel chien que j'ai caressé sera empoisonné ou mourra d'une maladie qui ne devrait même pas les atteindre s'ils avaient la chance de vivre ici?
La pétillante Curly. |
La douce et patiente Talisa. |
L'adorable Blackjack. |
Le timide Merlin. |
Bianca, petite perle. |
Alors oui, il y a des chiens ici, en Belgique, en France, qui attendent aussi une famille. J'ai été pendant longtemps bénévole dans une SPA belge, je sais comment les choses se passent.
Mais je suis également allée à Bečej.
Et je sais désormais que le prochain chien qui sera accueilli à la maison sera serbe.
Là-bas, en Serbie, les chiens servent soit à protéger la maison/la ferme/les troupeaux, soit ils sont mis à la rue où ils se reproduisent. Il y a peu de chiens "de famille" (et ce sont, pour la plupart, des chiens de race). Enormément de chiens errants, à chaque coin de rue, et des abandons au refuge car "chien trop gentil" ou "n'aboie pas", "ne garde pas". Tout ce qui est recherché ici pourtant...
La plupart des chiens présents au refuge mourront là-bas, soit de bagarres, soit de maladies, soit de froid cet hiver ou le suivant.
Parce qu'il n'y a pas suffisamment d'adoptions, ni de moyens financiers.
J'ai eu la chance de vivre cette aventure aux côtés de l'association. Lydia et Céline s'impliquent au quotidien, depuis la France le plus souvent, pour que tout se passe bien, pour que chaque chien ait la possibilité de trouver une bonne famille, et d'être enfin heureux.
La page Facebook de l'association : Nobody's Dog France
Si vous souhaitez adopter un chien : Adoptions
Si vous ne pouvez pas adopter, pourquoi ne pas parrainer un chien du refuge? Parrainages
Vous pouvez également vous proposer comme famille d'accueil, ou faire un don pour encourager les projets de cette superbe association : Faire un don
Si vous n'êtes pas en mesure de participer de l'une ou l'autre façon indiquée ci-dessus, vous pouvez également partager le lien du site, de la page Facebook, à vos contacts, pour faire connaître ce combat acharné pour sortir ces 200 chiens de Bečej !
N'hésitez pas, également, à diffuser cette vidéo relatant une semaine passée au sein du refuge :
Blackjack, Melina, Curly, Noah, Sparky, Sylvester, Bianca, Merlin, Erik, Talisa, Sharon, Pongo et tous les autres comptent sur votre soutien, aidez-les à vivre heureux!